Impayés des cantines scolaires

24 Nov. 2021 | Collectivités territoriales, Elige Bordeaux

Ne mords pas la main du maire qui te nourrit !

L’actualité donne régulièrement l’occasion de pointer le comportement de certains maires qui excluent du service de restauration scolaire des élèves dont les parents n’ont pas payé le prix de ce service.

A l’occasion de la dernière rentrée scolaire, la presse a relaté que dans une commune de 2400 habitants, c’est un policier municipal qui pour cette raison a reconduit un élève à son domicile (voir l’article).

Bien loin de nous l’idée qu’il s’agirait là d’une mesure fondée, proportionnée, en un mot adaptée à pareille situation.

Pour autant de nombreuses communes font face à d’importantes difficultés pour recouvrer les redevances dues par les familles dont les enfants bénéficient du service de restauration scolaire. Les maires notamment des plus petites communes, se pensent souvent démunis et peu soutenus.

On rappellera tout d’abord que ce service public a un caractère facultatif et que les communes assument cette mission dans le cadre de la clause générale de compétence instituée par la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale.

Une telle affirmation nous parait incongrue tant nous nous sommes habitués, depuis des décennies, à ce que les communes qui gèrent les infrastructures de l’école primaire nous offrent un tel service, à un prix souvent très modéré.

Pour autant, dès lors que ce service est mis en place par la commune, tout enfant doit pouvoir y accéder.

L’article L 131-13 du code de l’éducation consacre l’inscription à la cantine scolaire comme « un droit pour tous les enfants scolarisés ». De plus, « il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ».

Pour autant, la commune n’est pas dépourvue de moyens d’action en cas de non-paiement par les familles du tarif institué pour le fonctionnement de ce service. Mais il convient de respecter un certain nombre de règles (I) et de ne pas méconnaitre les rôles du maire et du comptable public en la matière (II).

I. Le recouvrement des impayés de cantine impose le respect des formes et exige tact et mesure

Comme tout service public qui bénéficie à des usagers, les utilisateurs du service de restauration scolaire doivent payer, en contrepartie, une redevance à la commune afin de contribuer à son financement.

Ainsi, dès lors que l’usager ne s’acquitte plus de cette redevance, il ne peut plus alors prétendre à bénéficier de ce service.

Pour autant, l’interdiction d’accès à ce service public ne peut se faire d’office et impose l’accomplissement préalable de plusieurs formalités.

Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé, en matière de restauration scolaire, que la perte de la qualité d’usager d’un service public par un élève « peut être prononcée, sous le contrôle du juge, dans les cas prévus au règlement du service, notamment lorsque l’usager ne respecte pas les règles d’organisation et de fonctionnement légalement fixées par l’autorité compétente » (CE, 4 mars 1983, Association familiale rurale de circuit et de transport des élèves de la région Meslay-de-Mayne, n°27214 et n°27215).

Une commune est donc fondée à refuser l’accès à la cantine scolaire à un élève, dès lors que le service de restauration scolaire n’est pas payé.

Ainsi, un maire peut décider de refuser l’accès à la cantine scolaire à un élève dont les parents ne paient pas le service de restauration, dès lors que l’absence de paiement par les parents n’est pas justifié (CAA Bordeaux, 6ème chambre, 22 juin 2020, n°18BX02135).

Mais le juge administratif conditionne cette possibilité :

  • En premier lieu, il convient de s’assurer que le règlement du service prévoit cette faculté d’exclusion en cas de non paiement du prix du service.
    La commune doit ainsi rédiger avec précision ce document et l’adopter par délibération de son conseil municipal.
  • En second lieu, l’intérêt supérieur de l’enfant primant, la commune doit, avant de prendre une telle décision, mettre les parents de l’élève en situation de régulariser les impayés et il appartient bien évidemment à la commune de rapporter la preuve de ces démarches.
    En la matière, le juge administratif veille à ce que les pièces versées au dossier permettent d’établir que la famille n’est pas placée « dans l’incapacité d’effectuer un quelconque versement ».

Dans son rapport de 2013, le Défenseur des droits avait utilement précisé les démarches à accomplir par la commune en pareil cas :

  • Envoyer une première lettre de relance aux parents en indiquant les solutions amiables qui peuvent être trouvées ;
  • En l’absence de retour à la suite de la première lettre, la commune doit envoyer une deuxième lettre de relance aux parents réitérant les propositions énoncées dans la première ;
  • A l’issue de la deuxième lettre de relance, s’il n’y a toujours pas de réponse des parents et dans un délai précisé dans ce courrier, la commune invitera les parents à rencontrer le CCAS de la ville ou un organisme s’y apparentant.

Si après ces trois étapes aucune solution n’a été trouvée entre la commune et les parents de l’élève, et que ces derniers ne sont pas dans l’incapacité d’effectuer un quelconque versement, la commune sera alors en droit de produire un titre exécutoire afin de récupérer sa créance et donc, en suivant, d’exclure ou de refuser l’accès au service de restauration scolaire à l’élève concerné.

Ce n’est donc qu’à la fin de ce processus et au terme du respect de ces démarches que la commune pourra légalement exclure un enfant de la cantine.

II. Le recouvrement des impayés de cantines impose à l’ordonnateur (le maire) et au comptable public de ne pas méconnaitre leurs rôles.

La question du recouvrement des redevances perçues par les communes sur les usagers du service de restauration scolaire impose surtout de s’assurer que le comptable public accompli effectivement les diligences dont il a la charge.

En effet, le recouvrement des recettes n’est ni une compétence de l’ordonnateur, c’est-à-dire le maire, ni celle de la commune qui doivent en la matière prendre garde de ne jamais se substituer au comptable public.

Corollaire du principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable public, ce dernier est responsable personnellement et pécuniairement sur ses propres deniers des erreurs commises dans l’exercice de sa mission. En matière de recettes, il doit ainsi contrôler que l’ordonnateur a émis régulièrement le titre et mettre en oeuvre les diligences nécessaires à son recouvrement.

L’article R. 2342-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que :

« Les produits des communes (…) sont recouvrés (…) en vertu de titres de recettes ou de rôles émis et rendus exécutoires par le maire en ce qui concerne la commune et par l’ordonnateur en ce qui concerne les établissements publics.

Les mesures d’exécution forcée pour le recouvrement de ces produits sont effectuées comme en matière de contributions directes.

Toutefois, l’ordonnateur autorise ces mesures d’exécution forcée selon les modalités prévues à l’article R. 1617-24. (…) »

Le titre de recette, qui constitue un état exécutoire, doit être émis par l’ordonnateur, à savoir le maire pour une commune, seul compétant en ce domaine.

Après son établissement, l’état exécutoire est transmis pour prise en charge au comptable municipal qui, aux termes de l’article L. 2343-1 du CGCT, est « chargé seul (…) d’exécuter les recettes ».

En application de l’article L. 1617-5 du CGCT, une fois pris en charge, l’état exécutoire est notifié « sous pli simple ou par voie électronique » par le comptable au débiteur. Dès « lors que le redevable n’a pas effectué le versement qui lui était demandé à la date limite de paiement, le comptable public compétent lui adresse une mise en demeure de payer avant la notification du premier acte d’exécution forcée devant donner lieu à des frais ».

A défaut de paiement, la créance peut alors, avec l’autorisation de l’ordonnateur, faire l’objet d’un recouvrement forcé en vertu du caractère exécutoire du titre, et sans recours préalable au juge.

A cet  effet, il appartient au maire d’autoriser ces mesures d’exécution forcée, selon les modalités prévues à l’article R. 1617-24 du CGCT.

A cet égard, on soulignera que les dispositions combinées des articles L. 1611-5 et D. 1611-1 du CGCT ne permettent pas au comptable public de refuser de procéder au recouvrement d’une créance de la commune dès lors qu’elle est supérieure ou égale à 15 euros.

En conséquence de quoi, on recommandera aux communes d’adopter systématiquement une délibération aux fins d’autoriser le comptable public, pour toute la durée du mandat et pour l’ensemble des titres de recettes émis, à procéder à l’exécution forcée de ceux qui n’ont pas été recouvrés.

Le Maire ne doit pas rentrer dans les modalités de recouvrement qui doivent être assumées par le seul comptable public et il doit se cantonner à appliquer le règlement du service de restauration scolaire adopté par son Conseil municipal.

Notre cabinet se tient bien évidemment à votre disposition afin de vous aider à mettre en oeuvre ces procédures.

Auteur de l’article

Thierry GROSSIN-BUGAT
Avocat associé à Elige Bordeaux

bordeaux@elige-avocats.com 

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