Réforme de la procédure d’appel, du nouveau au sujet de l’effet dévolutif

25 Jan. 2024 | Infos, Veille juridique

(Ou le meilleur du décret 2023-1391 du 29 décembre 2023)

Il n’est pas totalement absurde d’imposer à l’appelant de définir rapidement l’objet de l’appel et de demander aux parties de faire connaître clairement ce qu’elles entendent, dans la décision du premier juge, remettre en cause.

Ce qui était discutable, en revanche, c’était d’imposer à l’appelant de répondre à ces exigences dès la déclaration d’appel et de faire dépendre l’effet dévolutif exclusivement du contenu d’une formalité de nature « administrative ».

D’un point de vue purement technique, c’était d’autant plus discutable que la déclaration d’appel (au moins dans la procédure avec représentation obligatoire) est réalisée de manière électronique, à l’aide d’une interface qui a été conçue il y a maintenant plus de vingt ans et avant les réformes successives de la procédure d’appel. Cette interface est par ailleurs totalement inconnue des magistrats, qui n’ont dans leur immense majorité pas la moindre idée de la manière dont elle se présente et qui en ignorent totalement les limites techniques.

D’où, par exemple, les contentieux ahurissants sur l’éventuelle présence d’une annexe, pourtant rendue nécessaire par de pures contingences matérielles.

L’article 901, qui énumère les mentions que doit contenir la déclaration d’appel, précise désormais que la déclaration d’appel peut comporter une annexe, et sa rédaction, sous cet angle n’est pas significativement différente de la précédente, issue de la « rustine » ajoutée en 2022.

Le nouvel article 901 ne revient cependant pas, en apparence, sur le lien entre effet dévolutif et le contenu de la déclaration d’appel.

L’importance de l’article 562.

C’est toujours l’article 562 qui définit le champ de l’effet dévolutif. L’appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif du jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. Le texte a donc fait l’objet d’une clarification bienvenue. L’article 562 se référait, dans sa version précédente aux « chefs du jugement », et certains se demandaient s’il fallait, lors de la rédaction d’appel s’intéresser à (et donc reproduire) d’autres parties du jugement. Désormais, les choses sont claires. Quand le tribunal s’est contenté de débouter le demandeur de toutes ses demandes, sans autre précision, il n’est pas nécessaire d’en rappeler la teneur dans la déclaration d’appel, puisque le tribunal ne l’a pas fait dans son dispositif.

L’article 901 7° reprend la formule de l’article 562. Ce sont donc les chefs du dispositif expressément critiqués qui doivent figurer dans la déclaration d’appel.

Mais cette avancée se paye également d’un recul. L’article 562 prévoyait deux cas dans lesquels l’appelant n’avais pas à se préoccuper du contenu de sa déclaration d’appel, celui dan lequel l’appel tendait à l’annulation du jugement, et celui, fort fréquent, dans lequel l’objet du litige était indivisible. C’est ce dernier cas de tolérance qui disparaît…

Le nouvel article 901 est aussi plus développé que le texte actuel.

D’abord parce qu’évitant les renvois aux articles 54 et 57 du CPC, il procède par énumération littérale des mentions relatives à l’état civil des appelants. Mais aussi parce qu’il est plus exigeant. Il vise aussi l’état civil des intimés. Enfin, il précise que la déclaration doit aussi faire état de l’objet de l’appel : infirmation ou annulation du jugement.

Comme indiqué plus haut, la distinction n’est pas sans conséquence, puisque lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement, la déclaration d’appel n’a pas à viser le moindre chef du dispositif de la décision attaquée.

Alors en quoi le décret du 29 décembre 2023 améliore-t-il la situation, sous l’angle de l’effet dévolutif de l’appel ?

Pour identifier le progrès, il faut aller jusqu’à l’article 915-2.

Il prévoit que dans ses premières conclusions, pour peu qu’elles soient déposées dans les délais imposés, l’appelant pourra rectifier les erreurs ou omissions commises lors de la déclaration d’appel. La cour sera en effet saisie des chefs du dispositif du jugement figurant dans le dispositif des premières conclusions de l’appelant, même s’ils différent de ceux visés lors de la déclaration d’appel.

C’est là une véritable avancée et elle permet de remédier aux désordres causés par la situation actuelle. Ce n’est probablement pas trop demander à l’appelant que d’être capable, lors de ses premières conclusions, de circonscrire l’objet du litige en appel, dans le dispositif de ses conclusions.

La formulation de l’article 915-2 ne se comprend par ailleurs que si l’on prend connaissance de la nouvelle rédaction de l’article 962, relatif à la structuration (modeste) des conclusions.

Les conclusions doivent comprendre un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif.

C’est au niveau du dispositif que des exigences nouvelles apparaissent. En effet, l’appelant doit y indiquer s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement. Dans le cas où il conclut à l’infirmation, il doit y mentionner les chefs du dispositif du jugement critiqués. Le dispositif des conclusions de l’appelant ne se limitera donc plus à l’exposé de ses prétentions, il devra intégrer une énumération des chefs du dispositif du jugement critiqués.

Comme l’article 915-2 n’impose cette dernière exigence que dans les premières conclusions, on doit pouvoir en déduire que pour les conclusions qui suivront, l’appelant pourra en revenir à un dispositif plus classique. En effet l’article 954 continue d’imposer le rappel, dans les dernières écritures des prétentions et moyens précédemment invoqués ; mais la mention des chefs du dispositif du jugement critiqués n’est ni une prétention ni un moyen. On attendra néanmoins d’en savoir plus, sans prendre de risque.

L’importance du dispositif des premières conclusions.

Pour résumer, quand l’appel tend à l’infirmation du jugement :

    • Les chefs du dispositif du jugement attaqué doivent figurer dans la déclaration d’appel ;
    • Mais la sanction d’une absence d’un ou plusieurs de ces chefs n’a pas nécessairement une incidence sur l’effet dévolutif de l’appel ;
    • Car l’appelant pourra, dans le dispositif de ses premières conclusions revenir sur une déclaration incomplète et dépassée ;
    • C’est donc le dispositif des premières conclusions de l’appelant qui définit,dans tous les cas, la portée exacte de l’effet dévolutif ;
    • A condition que l’appelant ait pris le soin, dans leur dispositif, de rappeler qu’il demande l’infirmation de la décision et d’énumérer les chefs du dispositif du jugement qu’il critique.

En conséquence, les mentions de la déclaration d’appel n’ont plus aucun intérêt pratique, seul compte le dispositif des premières conclusions. C’est ce dispositif qu’il convient désormais de rédiger avec soin.

Ce qui précède vaut, tant pour la procédure avec représentation obligatoire avec mise en état, que pour la procédure à bref délai.

Pour la procédure sans représentation obligatoire, c’est autre chose.

Le nouvel article 933 reprend à l’identique les termes de l’article 901 relatifs au contenu de la déclaration d’appel, sauf à les adapter au fait que la constitution d’avocat n’est évidemment pas nécessaire dans la procédure sans représentation obligatoire.

Il existe cependant une différence, et de taille, puisque l’article 933 précise également la sanction qui s’attache à l’absence de mention dans la déclaration d’appel des chefs du dispositif du jugement critiqué. C’est simple, il n’y en a pas. Lorsque l’appelant n’aura rien mentionné dans la déclaration d’appel, l’effet dévolutif jouera pour le tout. C’est la solution à laquelle était parvenue la jurisprudence. Elle se trouve ainsi consacrée.

En matière d’appel sans représentation obligatoire, le plus sûr est donc de ne rien mentionner dans la déclaration d’appel.

C’est donc bien ça, en définitive, la bonne nouvelle contenue dans le décret du 29 décembre 2023. La rédaction de la déclaration d’appel cesse d’être un exercice d’équilibriste qui risque de compromettre l’effet dévolutif de l’appel. Retour à une solution plus cohérente : ce sont les conclusions de l’appelant qui précisent quels sont les chefs du dispositif du jugement qu’il entend remettre en cause.

On ne pouvait en attendre moins d’un décret de simplification.

Photo de Thierry Wickers, avocats Elige Bordeaux

Auteur de l’article

Thierry WICKERS
Avocat associé à Elige Bordeaux

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Opérations de paiement non autorisées : quels délais pour agir ?

Un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juillet 2025 apporte une clarification importante sur l'interprétation de l'article L. 133-24 du Code monétaire et financier. Cette décision, qui met un terme à une divergence d'interprétation des...

Perte de chance : 2 arrêts de l’Assemblée plénière le même jour. Quelle chance !

Par deux arrêts du 27 juin 2025, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a mis fin à une incertitude jurisprudentielle en matière de réparation du préjudice de perte de chance.Elle impose désormais au juge d'indemniser la victime pour une perte de chance...

Le pourboire dématérialisé, une aubaine pour l’URSSAF !

La dématérialisation des paiements, si pratique au quotidien, invite le droit à se pencher sur des usages aussi anciens que le pourboire. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juin 2025, vient de trancher une question née de cette modernité : quel est le régime...

Assurance COVID : l’hôtel était-il du bon côté de la carte ?

Une décision de la Cour de cassation du 19 juin 2025 vient rappeler aux hôteliers les conditions très strictes pour obtenir l'indemnisation de leurs pertes d'exploitation subies durant la crise sanitaire. Pour les professionnels du secteur, l'enseignement est clair :...

La transparence dans la discipline notariale : encore un effort !

Dans un contexte d'évolution de la déontologie et de la procédure disciplinaire, la publication des décisions disciplinaires est essentielle, mais le syst-me actuel révèle des limites notables.Le cadre légal : un progrès depuis 2022L'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril...

Les 5 choses à prendre compte lors d’un divorce ou une séparation

1. La résidence des enfants et l'autorité parentale.La question de la résidence des enfants et de l'exercice de l'autorité parentale est primordiale. Il s'agit de déterminer où vivront les enfants, comment seront organisés les droits de visite et d'hébergement, et...

Bulletin Elige – Numéro 10

Découvrez le bulletin Elige n°10consacré à nos avocats en Droit de la famille, des personnes et du patrimoine.Au sommaire de ce nouveau bulletin, on retrouve :PAGE 1Découvrez les avocats des sociétés Elige intervenant en Droit de la famille, des personnes et du...

L’IA juridique face au droit d’auteur, qu’en est-il vraiment ?

L'IA juridique face au droit d'auteur : la décision Thomson Reuters c/ Ross rebat les cartes.Le 11 février 2025, le tribunal fédéral du Delaware a rendu une décision qui fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le monde de la LegalTech. L'affaire Thomson Reuters c/...

Rémunération des syndics de copropriété : rappel des règles du jeu !

La cour de cassation rappelle les règles du jeu en matière de rémunération des syndics de copropriété.Dans un arrêt rendu le 27 février 2025, la Cour de cassation vient de clarifier des points importants concernant la rémunération des syndics et les droits des...

En cas de fraude bancaire, la responsabilité des banques n’est plus automatique

Deux arrêts récents de la Cour de cassation viennent de redéfinir les contours de la responsabilité des banques en cas d'opérations frauduleuses. Ces décisions, rendues le 15 janvier 2025, ont des implications importantes pour les clients des établissements...