Par deux arrêts du 27 juin 2025, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a mis fin à une incertitude jurisprudentielle en matière de réparation du préjudice de perte de chance.
Elle impose désormais au juge d’indemniser la victime pour une perte de chance constatée, même si celle-ci avait uniquement demandé la réparation de son dommage entier. Cette solution, qui consacre une véritable dérogation au principe dispositif, redessine les contours de l’office du juge et emporte des conséquences pratiques notables.
La perte de chance doit être indemnisée… même en l’absence de demande.
Jusqu’à présent, la jurisprudence était partagée. Lorsqu’une victime demandait l’indemnisation intégrale de son préjudice alors qu’elle n’avait en réalité subi qu’une perte de chance, les juges du fond adoptaient des solutions divergentes. Certains, s’appuyant sur une application stricte des articles 4 et 5 du code de procédure civile, rejetaient la demande au motif que le juge ne peut statuer au-delà de ce qui est demandé. D’autres, plus souples, acceptaient de requalifier la demande et d’allouer une indemnité pour la perte de chance.
L’Assemblée plénière tranche ce débat en faveur de la victime. Dans deux affaires similaires concernant la responsabilité d’un notaire et d’un avocat, elle censure les cours d’appel qui avaient refusé d’indemniser une perte de chance au motif que la réparation de ce préjudice spécifique n’avait pas été demandée.
La Haute juridiction énonce clairement deux règles :
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- Le juge peut rechercher si la victime a subi une perte de chance, même si elle ne demande que la réparation de son préjudice total. Il doit alors inviter les parties à débattre de ce point (1) ;
- Le juge ne peut pas refuser d’indemniser une perte de chance dont il constate l’existence au seul motif que la victime n’a demandé que la réparation intégrale de son dommage (1).
Une motivation fondée sur la nature du préjudice et le déni de justice
Pour justifier cette solution, l’Assemblée plénière s’appuie sur une analyse fine de la notion de perte de chance et, de manière plus originale, sur l’interdiction du déni de justice.
Elle rappelle d’abord que la perte de chance constitue « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». Elle précise ensuite que si ce préjudice est distinct du dommage final, il en demeure « dépendant ». C’est ce lien de dépendance qui autorise le juge à passer de l’un à l’autre.
Surtout, la Cour de cassation ancre sa décision dans l’article 4 du Code civil, qui prohibe le déni de justice. Elle en déduit que le juge, dès lors qu’il constate l’existence d’un dommage dans son principe — en l’occurrence, la perte de chance — ne peut refuser de le réparer. En refusant d’indemniser, la cour d’appel commettait donc une violation de la loi.
Une portée au-delà des responsabilités professionnelles
Bien que les deux affaires concernent des professionnels du droit, la portée de ces arrêts est générale et s’applique à toute situation impliquant une perte de chance.
(1) Sources : Cass., ass. plén., 27 juin 2025, B+R, n° 22-21.812 et Cass., ass. plén., 27 juin 2025, B+R, n° 22-21.146
Auteur de l’article
Thierry WICKERS
Avocat associé à Elige Bordeaux
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