La dématérialisation des paiements, si pratique au quotidien, invite le droit à se pencher sur des usages aussi anciens que le pourboire. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juin 2025, vient de trancher une question née de cette modernité : quel est le régime social des pourboires versés par carte bancaire ?
(Civ. 2e, 5 juin 2025, F-B, n°23-13.543 – Lire la source)
Le double visage du pourboire face aux cotisations sociales
Le droit de la sécurité sociale repose sur un principe d’assiette large, incluant toutes les sommes versées aux travailleurs « en contrepartie ou à l’occasion du travail ». Les pourboires, bien que versés par un tiers, le client, n’ont jamais échappé à cette règle. Toutefois, la complexité de leur perception, notamment dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, a conduit à distinguer deux régimes d’assujettissement.
D’une part, lorsque l’employeur centralise les pourboires et en assure lui-même la répartition entre les salariés, il a une connaissance exacte des sommes perçues. Les cotisations sont alors calculées sur la base de ces montants réels.
D’autre part, lorsque l’employeur ne participe pas à ce processus – les salariés se partageant directement les espèces remises par les clients, par exemple –, il est présumé ignorer les montants exacts en jeu. Dans cette hypothèse, la loi autorise un assujettissement sur une base forfaitaire, solution pragmatique face à une information parcellaire.
La centralisation par carte bancaire, critère décisif de l’assujettissement au réel
Dans l’affaire jugée le 5 juin dernier, une société avait mis en place un système permettant aux clients de régler un pourboire par carte bancaire en majorant le montant de leur note. L’entreprise collectait ces sommes sur un compte de transit avant de les reverser aux salariés, mais sans les intégrer dans l’assiette de ses cotisations sociales. Elle soutenait que ces sommes, de même nature que les pourboires en espèces, devaient bénéficier du même régime forfaitaire.
La Cour de cassation rejette cette analyse. En se fondant sur les articles L. 242-1 du Code de la sécurité sociale et L. 3244-1 du Code du travail, elle énonce un principe clair : « les sommes volontairement remises à titre de pourboires par les clients à destination du personnel en contact avec la clientèle sont soumises à cotisations sociales dès lors qu’elles sont remises à l’employeur pour qu’il les reverse au personnel ».
La solution est logique. En organisant la collecte des pourboires par voie électronique et leur reversement, l’employeur ne peut plus prétendre ignorer les montants distribués. Le fait même de mettre en place ce système de paiement crée la traçabilité qui justifie un assujettissement au réel. L’employeur ne peut donc à la fois faciliter une pratique qui augmente vraisemblablement le montant global des pourboires et revendiquer le bénéfice d’un régime forfaitaire conçu pour l’opacité.
Une exonération temporaire à ne pas oublier
Si cet arrêt vient consolider un principe de droit, il convient de le mettre en perspective avec l’actualité législative. Dans le contexte post-crise sanitaire, le législateur a souhaité soutenir le pouvoir d’achat des salariés des professions concernées. Ainsi, une mesure d’exonération de cotisations et de contributions sociales pour les pourboires a été instaurée pour les années 2022 et 2023. Cette mesure, particulièrement bienvenue, a depuis été prorogée pour les années 2024 et 2025.
La solution de principe rappelée par la Cour de cassation est donc temporairement mise entre parenthèses. Elle n’en demeure pas moins la règle de droit commun qui aura vocation à s’appliquer de nouveau à l’issue de cette période dérogatoire, invitant dès à présent les employeurs à la plus grande vigilance sur les modalités de gestion de ces gratifications.
Auteur de l’article
Thierry WICKERS
Avocat associé à Elige Bordeaux
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